TEXTE N° 2
Dans son oeuvre " L'ange de la mélancolie " Dürer montre un ange tenant un compas plongé dans la méditation. La dimension philosophique que renferme la gravure n'est pas notre propos. Notre fil rouge reste le jeu. Or, pour la première fois, naissait dans mon esprit le germe d'un intérêt pour les jeux avec le carré latin. Des recherches sur ce concept mathématique, ludique m'ont conduit à découvrir les travaux de Fibonacci. Ce mathématicien italien du 12 siècle, de retour d'un voyage en Algérie, démontre la relation entre les mathématiques et le jeu.
En parallèle de mon intérêt pour le jeux mathématiques, je terminais mes travaux universitaire sur Gérard de Nerval. Ce poète dont la profondeur est sans commune mesure, fait référence dans son oeuvre " Aurélia " à l'ange de la mélancolie de Dürer. L'esprit nervalien est complexe parce que plongé dans l'aliénation. L'intérêt de son oeuvre réside dans l'esthétique. Néanmoins, l'étude de son oeuvre m'a permis de comprendre au mieux le concept de dualité, la dimension spéculaire, la consubstantialité de l'altérité et l'identité, bref la tension permanente entre deux forces animée dans une même entité. Je retrouvais ce postulat dans le jeu d'échec lorsque j'étudiais la linguistique de ferdinand de Saussure qui compare le langage au jeu d'échec. Dans un premier temps, j'étudiais de plus près le jeu d'échec. La mécanique, les combinaisons sans fin, un défi permanent pour l'homme. Accessible par la simplicité de ses régles et inssaisissable dans l'absolu par le nombre de combinaisons, le jeu d'échec éprouve l'intelligence humaine. Pour la première fois, je réfléchissais à une mécanique de jeu abstrait qui serait différente des échecs. Le point d'orgue de la création de kcnalp3 commence ici : rechercher une mécanique originale qui défie l'intelligence et le temps.
TEXTE N° 3
Mon premier prototype avait comme principale source le carré latin. J'avais fabriqué un plateau en bois dans lequel j'avais creusé des rainures afin d'obtenir 64 carrés. Puis au centre de chaque carré un trou pour recevoir des cylindres en bois munis d'un tenon. Chaque joueur disposait de 16 cylindres dont la valeur était représentée par sa dimension. Ainsi le cylindre de 1 cm valait 1, le cylindre de 2 cm valait 2 ect... Le plateau à l'imitation du tablier des échecs, présentait des cases blanches et noires. Les blanches symbolisaient l'addition, les noires la soustraction. Le but du jeu consistait à empiler les cylindres de manière à obtenir la somme 34. L'empilement des cylindres s'effectait alternativement. Un cylindre blanc, un cylindre noire. Le déplacement des cylindres s'effectait d'une manière frontale ou en diagonale, case par case ou l'amplitude du tablier. Il n'était pas permis de sauter un cylindre. Exemple, en déplaçant le cylindre blanc de valeur 2, case blanche, donc positive ( numérotée G2 ) vers la case noire, donc négative ( numérotée G7 ) vers le cylindre noir adverse de valeur 7, la valeur de l'empilement des deux cylindres est négative ( - 5 ). Les joueurs déplaçaient tour à tour leur cylindre, soit en choisissant une case vide, soit en opérant un empilement. Reprenons l'exemple ci-dessus. Admettons que les noires décident de déplacer le cylindre négatif de G7 vers la case blanche G6, il n'y a pas empilement, en revanche si l'adversaire décide de délplacer le cylindre de valeur 6 en diagonale et de faire un empilement, la nouvelle valeur de l'empilement sera positive ( + 1 ). Donc le but du jeu consistait à obtenir la somme 34 positivement ou négativement. Toutefois, la somme d'un cylindre ( valeur positive et négative additionnées ) ne devait pas dépasser la somme de 34.
TEXTE N° 4
La mécanique de ce premier prototype ne correspondait pas à mes aspirations. D'abord j'atoutais une variante avec deux paramètres supplémentaire, la couleur, la division et la multiplication des nombres. Ainsi les quatres opérations de l'arithmétique complexifiaient la mécanique du jeu. Après plusieurs parties pour éprouver le système, je me ravisais. Bien que la mécanique ait fonctionné en peignant le tablier en quatre couleur dont la symbolique renvoyait aux quatres opérations, je n'étais pas satisfait du résultat. Je recherchais à m'arracher du carré latin.
TEXTE N° 5
L'intelligence analogique des couleurs et des nombres découle d'une étude de kandinsky, Rimbaud et Erdos. La définition des couleurs par Kandinsky est l'association par couple. Ainsi le bleu est associé au jaune, le rouge au vert, le violet à l'orange, le blanc au noir. Il est curieux de se rendre compte que les clivages entres les esprits n'existe pas dans la créativité. Par exemple, nous trouvons dans l'oeuvre nervalienne "Aurélia" les couples de couleurs définis par Kandinsky. Ils constituent chez le poète français des invariants comme l'expression de la densité émotionnel face à la maladie. Rimbaud, en associant les couleurs et les lettres, modifie notre perception paradigmatique du langage. Quant à Erdos, sa théorie des nombres présente une nouvelle conception sur la combinatoire des nombres ( arrangements, factorielle, algorithme ).
Mon premier prototype inspiré du carré latin participait de cette soupe, où les ingrédients appartenaient au mathématique, à la peinture, à la littérature, à l'histoire. La recherche est un long chemin, créer un concept simple nécessite beaucoup de transpiration. Evacuons ici toute ambiguité. Concept simple ne signifie pas superficiel. Il doit renfermer les critères qui définissent un objet intellectuel solide. Ces critères sont un langage universel , resister au temps et à l'espace, questionner en permanence, dépourvu d'idéologie, apporter un supplément d'âme quand on s'y confronte. Prenons comme exemple les travaux de pythagore ou de ses élèves. La postérité nous présente des concepts mathématiques dont l'utilité est immense pour l'humanité.
Mon premier prototype s'éloignait de cet idéal. Je cherchais à nouveau à élaborer un nouveau concept de jeu qui s'inscrirait en adéquation avec les critères cités plus haut. La renaissance vint de la physique quantique.
TEXTE N° 6
A l'université, on dispensait des cours ayant trait à la philosophie, à l'histoire des sciences, à l'exégèse. Tout m'intéressait. J'entendis parler pour la première fois de physique quantique, de théorie quantique, de paquets de quantas, dans un cours d'histoire des sciences. Le professeur semblait embarassé pour nous expliquer la physique quantique. Il est vrai qu'il était difficile pour des profanes comme nous, les étudiants, d'imaginer une particule élémentaire, par exemple un photon, partout et nulle part à la fois dans l'espace. Représentation très difficile à concevoir pour nos cerveaux d'étudiants formatés depuis des décennies dans le cadre cartésien.
Je me remémorais ce moment laissé en jachère. Créer un jeu qui s'inspirerait de la physique quantique. Je m'attelais à la tâche. Dans un premier temps je considérais les jeux abstraits ayant abordé cette problématique. Ainsi je découvrais les échecs quantiques. La valeur d'une pièce est mutante, autrement dit un pion pourrait prendre par exemple n'importe quelle valeur etc.
TEXTE N° 7
Comment représenter un objet ludique concret, dont les caractéristiques seraient inhérentes à des lois subatomiques ? Comment représenter un objet ludique concret dont les propriétés échappent aux lois de la physique classique ? Une gageure, un défi difficile à relever. Je recherchais un mécanisme où les éléments se combineraient dans un espace tridimentionnel. La géométrie euclidienne s'imposait naturellement. La mise en oeuvre d'un nouveau prototype composé cette fois-ci de billes en bois et d'un plateau pour les recevoir m'ouvrit de nouvelles perspectives. Combien de jeux mis sur le marché se pratiquaient avec le même matériel, des billes en bois et un plateau. Seul le corpus des jeux abstraits suscitait chez moi de la curiosité.
TEXTE N° 8
Le prototype que j'avais mis en oeuvre représentait quatre pyramide de quatre billes de quatre couleurs. Hormis les quatres couleurs, les billes des joueurs se différenciaient par les tons clairs et foncés. Le principe du jeu reposait soit sur l'alignement des billes d'une même couleur ou la construction d'une pyramide d'une même couleur. La mécanique du jeu se rapprochait du morpion et du rubik's cube. Loin de la théorie quantique et des jeux abstraits classiques à l'instar des échecs et du go, j'étais toujours à la recherche d'une mécanique originale. J'augmentais le volume de la pyramide, autrement dit, j'ajoutais des billes pour obtenir une pyramide de trente billes, me rapprochant davantage du carré latin. Deux pyramide, une pyramide renfermant chacune quinze billes d'une couleur bleue plus quinze billes d'une couleur jaune, et l'autre pyramide renfermant chacune quinze billes d'une couleur verte plus quinze billes d'une couleur rouge. Au total soixante billes par joueur. La capture des billes adverses se faisait par couleur. Lorsqu'une bille verte des clairs couvrait une bille verte des foncés, il était possible de la capturer en la sortant du plateau. Le déplacement des billes était libre.
TEXTE N° 9
La représentation des atomes dans un esprit naïf est constituée de petites sphères, des sphères inscrites dans l'infiniment petit. Hormis les équations pour modéliser leurs lois, inaccessible pour les profanes, la représentation des atomes par de petites sphères demeure néanmoins un outil pédagogique de vulgarisation appréciable. Nous retrouvons ici le chat de Schrodinger pour la physique quantique. C'est ainsi que je recherchais en m'inspirant des lois de la physique quantique, autrement dit, l'intrication, la superposition, en somme les phénomènes inhérents à la quantique pour élaborer une mécanique de jeu à partir de billes. Dans le monde physique, l'espace euclidien s'impose... Comment dès lors traduire les phénomènes de la quantique avec des billes dans un espace euclidien ? Il faut non seulement une rupture ontologique, mais assurément une rupture anthropologique, une mécanique où l'intellect agit sur un substrat qui offre en permanence un défi, une résistance, une représentation autre que les représentations classiques, c'est-à-dire, éprouvées par le temps, fossilisées par la culture. L'une des clés reposait sur le paradoxe.
TEXTE N° 10
L'étymon du vocable paradoxe signifie contraire à l'opinion générale. Par exemple, affirmer que la terre est ronde alors que le bon sens commun nous indique le contraire est un paradoxe surmontable par une représentation mathématique de l'objet. Aujourd'hui les satellites nous donnent de belles images de la planète bleue. Revenons au jeu abstrait. Le jeu d'échecs repose sur une vision convergente abattre le Roi adverse. Toutes les autres pièces gravitent autour du Roi. Le mouvement des pièces s'articule dans une mécanique univoque, les combinaisons tactiques ou stratégiques visent la mort du Roi. Ainsi, le Roi, in fine, incarne la force attractive, une seule visée. C'est une logique dépourvue de champs de forces contradictoires. Chaque joueur vise la mort du Roi adverse. Les échecs reposent sur un système labyrinthique. Le mouvement des pièces créee des couloirs labiles sans cesse instables. La tension du jeu repose sur cette mécanique pour atteindre le Roi. L'objectif de tuer le Roi adverse en mettant en oeuvre des tactiques et une stratégie à la faveur du mouvement des pièces à soi et adverses obéit à la loi de l'attraction des autres pièces. Le déroulement d'une partie d'échec ne produit aucune dichotomie dans la représentation du jeu. La prise en compte de la stratégie adverse ne constitue pas une dichotomie. L'adversaire vise à abattre mon Roi, j'en fais une lecture pour porter une attaque ou une défense. Avec Kcnalp3, il y a un profonde changement dans la représentation du jeu.